Lettre ouverte d'Aram Kerovpyan

LETTRE OUVERTE
AU PRÉLAT DU DIOCÈSE ARMÉNIEN DE FRANCE
ET AU CONSEIL PAROISSIAL DE LA CATHÉDRALE SAINT-JEAN-BAPTISTE DE PARIS

Monseigneur Vahan Hovhannessian, prélat du Diocèse arménien de France,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil paroissial de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Paris,

La présente lettre ouverte a pour but de rendre publique ma démission de mon poste de maître-chantre, démission devenue inéluctable suite au renvoi du Père Houssik Sargsyan de l’église arménienne de Paris. Ce renvoi, avec tout ce qu’il implique, ne peut être passé sous silence, et c’est pourquoi je vous invite par la présente à prendre publiquement la mesure de cette décision. Cette lettre ouverte reprend les circonstances et les raisons exposées dans ma lettre de démission du 12 novembre dernier, et notamment les conséquences que cet acte déplorable va provoquer inévitablement.
Je ne me prolongerai pas sur combien je suis outré par la décision de Mgr Hovhannessian, qui ne tient compte ni des qualités ni du dévouement du Père Houssik, et qui est particulièrement cruelle à l’égard de sa vie familiale. Notons également le caractère anti-statutaire de cette décision et le quiétisme du Conseil paroissial à cette occasion. Je vous expliquerai en revanche ce que cela entraîne dans la tradition du chant liturgique dont notre église est l’un des derniers lieux de survie, notamment dans la diaspora occidentale. Faut-il vous rappeler que c’est précisément en la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Paris, et depuis sa fondation il y a plus d’un siècle, que les Offices ont été chantés en entier, dans la tradition musicale monodique et modale de notre Église. Vous le savez probablement, je suis personnellement responsable de la perpétuation de cette tradition jusqu’au moment de sa transmission à un successeur compétent, issu de cette même tradition.
En réalité, ma démission est la conséquence directe d’une situation qui ne cessait de se dégrader depuis plusieurs années. Un seul fait suffit pour décrire l’état des choses : je n’ai actuellement aucun élève parmi les personnes qui vêtent la robe de chantre. Dans le souci d’assurer le service de l’autel, et peut-être par méfiance envers ma personne, il a été soigneusement évité que les tbir et les novices se groupent autour de moi. Mes trente années d’efforts ont été petit à petit balayées en silence par tous les prélats et responsables de la paroisse.
Or le rôle du Père Houssik a été primordial dans la poursuite des Offices au cours de ces dernières années. C’est lui, en outre, qui m’avait convaincu de ne pas démissionner de mon poste de maître-chantre. De fait, il fut le seul employé religieux de notre église capable de pratiquer les Offices entièrement, le Père Tashjian ayant pris sa retraite depuis plusieurs années. L’expérience l’a prouvé : en leur absence, il était simplement impossible de pratiquer les Offices.
Toujours est-il que l’indifférence de Mgr Hovhannesian envers les Offices, et sa méconnaissance totale de ma fonction ont fini par discréditer le poste de maître-chantre. Le résultat de toutes ces années de négligence est catastrophique ; vous le sentirez peut-être à l’avenir. Quoi qu’il en soit, vous verrez que les images glorieuses publiées dans les médias sociaux ne pourront pas assurer la réussite de votre mission, ni surtout les compétences des jeunes en robe de chantre dans leur fonction.
En conclusion, la raison de ma décision est simple : avec le renvoi du Père Houssik, je suis de facto privé de remplir ma fonction de maître-chantre, fonction envers laquelle le mépris déjà manifeste s’avère désormais scellé.
Je démissionne donc de ce poste que je tenais depuis 1990. Je suis conscient de ma part de responsabilité. Toutefois je ne peux m’empêcher de vous rappeler la vôtre : en raison d’une décision malheureuse du Prélat ainsi que de l’inertie du Conseil paroissial, cette année du 115e anniversaire de notre église sera marquée par la fin de la tradition du chant liturgique arménien telle qu’elle y a été perpétuée depuis plus d’un siècle. Cette tradition tenait déjà à un fil, mais j’avais l’espoir de la faire revivifier un jour. Cet espoir est maintenant bien enterré.
Vous, actuels membres du Conseil paroissial, tout comme vos prédécesseurs, ne vous êtes pas rendu compte de la menace qui pesait sur l’avenir des rituels. Malgré la relative courte période passée depuis votre élection, vous en êtes inévitablement responsables en tant que leurs successeurs.
L’indifférence suffit pour faire disparaître un patrimoine. En revanche, il est souvent extrêmement difficile, voire impossible de le rétablir. J’en sais quelque chose, puisque c’est en cela que consiste mon métier, mon travail principal, que je mène depuis de nombreuses années comme musicien et musicologue. Soyez-en assurés, je veillerai à ce que cet événement soit inscrit en détail dans l’histoire de la musique et de la diaspora arméniennes.
Je crois toutefois aux miracles ; ils se produisent parfois lorsque nous nous rendons disponibles à les recevoir. Si jamais il s’en produit un et que je suis encore de ce monde et dans mes capacités, je ferai tout mon possible pour rétablir ce qui est aujourd’hui détruit, mais ma contribution dépendra de la mise en place de conditions que je juge nécessaires, celles établies par la tradition de tbir dont je suis issu.
Je vous souhaite lucidité et courage pour la suite de votre mission.
Sincèrement,

Aram Kerovpyan
Paris, le 4 décembre 2019

Association Akn
chant modal arménien